MORGANE ELY: HOSTESS AND GUESTS
VERNISSAGE JEUDI 9 OCTOBRE 18H
Chez Morgane Ely, la gravure sur bois ne sert pas à imprimer des images : elle les incarne. Les matrices, ces planches gravées au creux de longues heures de travail minutieux, deviennent œuvres en soi. Ici, pas de tirages : ce sont les supports eux-mêmes, encrés, marqués, parfois bombés de couleurs vives, qui s’exposent. Comme si chaque image – née d’un regard critique sur les clichés, les fantasmes et les récits dominants – méritait d’exister seule, dans sa matérialité brute et précieuse.
Pour cette exposition à la galerie Prima, l’artiste propose une nouvelle série de gravures pensées comme des collisions : celles de figures féminines japonaises représentées dans des intérieurs calmes, presque figés, et de tags extraits des rues de Paris. Chaque œuvre fonctionne comme une friction entre deux mondes – celui du fantasme orientaliste, hérité d’une histoire coloniale tenace, et celui d’une parole urbaine souvent masculine, codée, brutale.
Les femmes japonaises, figées dans des postures domestiques, rappellent les stéréotypes visuels construits par l’Occident : soumises, silencieuses, esthétisées à outrance. Ces images ressassées – qu’on retrouve sur des éventails, des porcelaines ou des photos d’archives – n’ont jamais vraiment quitté l’imaginaire collectif. En les réactivant aujourd’hui, Morgane Ely ne les rejoue pas mais les interroge. Elle leur superpose le cri d’un autre langage : celui du tag, geste de conquête, d’ego, de territoire. Un geste historiquement masculin, utilisé pour affirmer une présence dans l’espace public, souvent au détriment des corps considérés comme mineurs ou marginaux.
Ce qui se joue alors n’est pas une simple juxtaposition. C’est un déplacement. Dans ses œuvres, le tag devient intrusion mais aussi relecture : il vient griffer, polluer, réveiller ces images figées. Il empêche le regard de se poser tranquillement. Il oblige à regarder autrement – et peut-être à entendre les tensions politiques qui se glissent dans l’esthétique. Morgane Ely, fidèle à sa pratique, articule ici les paradoxes : raffinement et transgression, technique rigoureuse et culture populaire, gravure traditionnelle et détournement critique.
Sous ses mains, le féminin n’est jamais une case à cocher, ni une posture figée. C’est un champ de bataille, de détournements, d’ironie aussi. Et dans cette nouvelle série, la confrontation entre l’intime et l’urbain, entre l’objet fantasmé et l’agression visuelle, devient une forme de résistance. Une manière de redonner aux images le droit d’être ambivalentes, impures, vivantes.