BRUNO GADENNE: ELDORADO
VERNISSAGE LE JEUDI 4 SEPTEMBRE A 18H
Bruno Gadenne peint comme on explore : avec patience, précision et une certaine forme d’obsession lumineuse. Depuis une dizaine d’années, ses expéditions solitaires le conduisent dans les forêts tropicales d’Asie ou d’Amérique latine. Il s’enfonce dans la jungle à pied ou en canoë, carnet et appareil photo en bandoulière, pour capter ce qui ne se laisse pas voir d’emblée : un reflet fugace, une trouée dans la canopée, une lueur improbable.
Ces voyages sont le socle de sa peinture. Mais une fois rentré à l’atelier, Gadenne ne documente pas – il rejoue. À partir de ses relevés, de sa mémoire, de son propre trouble face à ces paysages, il recompose des scènes empreintes d’une étrangeté tranquille. Une plante trop blanche, une lumière irréelle, une apparition furtive : tout semble fidèle à la nature, et pourtant quelque chose déraille. L’image est claire, précise – mais ce qu’elle donne à voir déborde le réel.
Dans cette tension entre naturalisme et irréalité, son travail s’inscrit dans une histoire plus large de la peinture de paysage : non pas comme reproduction d’un territoire, mais comme projection mentale, presque hallucinée. À la manière des romantiques ou des symbolistes, Gadenne glisse de la perception vers la vision. Mais il le fait avec une conscience aiguë du regard qu’il porte. Il sait ce que représente, dans l’histoire de l’art occidental, le fait de peindre “la jungle” : un lieu souvent fantasmé, fétichisé, mis en scène comme un paradis sauvage ou un monde à conquérir.
Ici, rien de tel. Pas d’exotisme, pas d’ailleurs de carte postale. Sa peinture s’ancre dans une forme de présence sensible, une immersion patiente où les humains, les plantes, les animaux et les éléments semblent liés par un réseau invisible. Il ne s’agit pas de figer un paysage, mais d’exprimer une relation : celle qu’on tisse avec un lieu quand on cesse de le regarder de loin. Le monde n’est plus un décor, il devient milieu.
Pour sa première exposition personnelle à la galerie Prima, Bruno Gadenne présente une nouvelle série de peintures à l’huile inspirée de ses récentes explorations en Amérique centrale et à Bornéo. L’exposition, intitulée Eldorado, met en scène une nature foisonnante, traversée d’éclats dorés comme autant de leurres ou de promesses.
Le titre, volontairement ambigu, convoque autant le mythe que son envers. Eldorado : le lieu rêvé par les conquistadors, l’illusion d’un or infini caché dans les forêts. Chez Gadenne, ce mirage est réactivé – mais pour mieux être renversé. L’or ici n’est pas une richesse à prendre : c’est une lumière trompeuse, une énigme, une invitation à se perdre.
On y découvre des sous-bois saturés de feuillages, percés de lueurs opaques, des bassins d’eau calme où se reflète le ciel, ou encore une paire de pieds nus enflammés, posés sur le sol humide. Rien n’est tout à fait explicite, mais tout est chargé d’un mystère sensoriel. Le spectateur n’est pas guidé, il est absorbé.
Eldorado fonctionne comme une dérive mentale : un lieu introuvable, sans carte, dont chaque toile serait un indice ou une trace. L’exposition nous invite à perdre nos repères dans une nature magnifiée, parfois inquiétante, et à s’abandonner à la lenteur hypnotique de la peinture.