Présentation

VERNISSAGE LE JEUDI 15 MAI A 18H

 

Texte : Ingrid Luquet-Gad
 

Les peintures d’Helena Minginowicz possèdent une qualité rare : le langage échoue à les circonscrire. Les scènes évocatrices qu’elle brosse sont infiniment singulières et pourtant, on jurerait les avoir déjà vues ailleurs – peut-être en rêve, éveillé ou lysergique. Chacun·e se met donc à fouiller les recoins de son esprit, lancé·e dans la quête illusoire de retrouver intactes ces images primesautières à l’onirisme mutique. Au moment où la rationalité se met en veille s’ouvre sous nos pieds le vertige hypnagogique.

 

La première exposition en France d’Helena Minginowicz, née en 1984 à Poznań, nous introduit à son système de figuration et à ses figures de prédilection. Avant d’y parvenir, l’artiste, diplômée en 2011 de l’Université des Arts de sa ville natale, a d’abord dû désapprendre les principes de la peinture classique. Elle s’est constitué un panthéon personnel où se côtoient les grimoires alchimiques, les maîtres de la Renaissance italienne et les Young British Artists. Elle a ensuite chassé l’expressivité de la touche modernistes, troquant le pinceau contre la bombe. Sa manière caractéristique de ciseler les plans par des effets de transparence et de surimpression était née.

 

Chez elle, l’intérieur et l’extérieur se confondent jusqu’à parfois s’inverser. Peaux, membranes, pilosité, dentelles mais aussi torchons élimés et sacs plastiques virevoltants, toutes ces surfaces instables, tantôt palpitantes, iridescentes, chromées ou humides, deviennent les sujets désincarnés d’une intrigue sans les mots. À propos de sa quête picturale, l’intéressée dit vouloir traduire les « filtres » apposés entre la réalité et la perception. Ainsi, dans l’exposition parisienne, un rictus omineux apparaît sur paire de rotules (Off !, 2024) tandis qu’un drap se renfle d’un cri glaçant (undercover, 2024). Aucune figure n’apparait pleinement ; chaque fragment est le support d’une autre silhouette, qui se dessine par l’hybridation des règnes humains, animaux et microplastiques.

 

La filiation avec l’image surréaliste fondée sur la rencontre fortuite s’impose spontanément. Une distinction plus contemporaine conduit également à en percevoir une analogie avec le concept du « bizarre » dans la culture horrifique de l’écrivain Mark Fisher, qui distingue celui-ci [weird] de l’omineux [eerie]. Là où le second s’applique aux espaces extérieurs tempétueux, le premier s’attache aux espaces quotidiens à la familiarité trompeuse. Il s’agit d’une « perturbation particulière » incarnée par « une entité ou un objet si bizarre qui nous fait ressentir qu’il ne devrait pas exister, ou du moins qu’il ne devrait pas exister ici »[1]. Tout nous y ramène ici : nous demeurons les captif·ves volontaires d’un espace-temps paradoxal, englué·es à ses charmes siréniens.

 

Plus précisément, Helena Minginowicz passe notre inconscient collectif au prisme de la culture internet, ce milieu iconographique ambiant dans lequel nous baignons sans y prêter attention. Nous découvrons par ses toiles que les signes et les symboles de notre imaginaire ne sont pas immuable et que nos souvenirs sont contaminés par toute une population d’images maudites, de micro-trends #corecore et de contenus sponsorisés. Lorsque cet inconscient remixé à la vibe Y2K remonte à la surface, cela donne une cosmogonie sous-terraine que le philosophe Federico Campagna désigne de « magique[2] », soit le miroir inversé scintillant de l’univers techno-scientifique grisonnant. 

  



[1] Mark Fisher, The Weird and the Eerie, London: Repeater Books, 2016.

[2] Federico Campagna, Technic and Magic: The Reconstruction of Reality, London: Bloomsbury Publishing, 2018.

Œuvres